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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte31 Transport par voie ferrée dans la région de Bar-le-Duc, puis par camions dans celle de Verdun

on parle beaucoup trop souvent de la servitude et de la grandeur militaire ; je ne vois guère que la 1ère ; où y a-t-il de la grandeur dans l’armée ?

texte31
13 fév.  dimanche.

Nous quittons Semoine par une belle matinée ; le temps est couvert sauf à l’est d’où nous voyons sortir un soleil rouge pourpre annoncé par une véritable illumination de tout le ciel à l’horizon, sur lequel se découpent les bosquets qui bordent la route. Nous partons un peu à regret ; pour ma part, je conserve un excellent souvenir de ce village si paisible dont la tranquillité était à peine troublée par les sonneries des clairons des bons vieux territoriaux. À Mailly, nous avons le plaisir de rencontrer ce bon Chef Orue qui nous apprend que nous allons non pas dans un secteur comme on l’avait cru un instant mais aux environs de Combles. Il reste seul de sa Cie avec quelques malades vaccinés de la veille et il fait le voyage avec nous. Nous allons nous restaurer à Mailly, puis nous allons occuper nos compartiments d’où S. a expulsé des sergents de zouaves qui avaient pris place sans rien demander à personne. Il y loge à leur place Pénard et Lombard ; j’ignore ses intentions ... passons ... Notre voyage est assez agréable ; on prend du lest consciencieusement. À la nuit noire nous passons à Fains (les Sources), Bar (le Duc) et nous débarquons à Longeville à 10 ou 12 kil. de notre cantonnement Véel, devant lequel nous sommes passés ! ! On se met en route ; la pluie commence à tomber ; on nous apprend que la division est alertée et peut partir d’un moment à l’autre. Nous traversons Bar et nous éprouvons quelque mélancolie en voyant sur les boulevards de bons bourgeois qui reviennent du cinéma ! Nouvel incident sans importance entre S. et les médaux. Nous arrivons vers minuit à Véel ; impossible de trouver mes couvertures ; je me couche sur la paille où je me gèle consciencieusement ;

14 fév.

par dessus le marché, le vieux lion, Lafont, Roul., nous servent un formidable concert de ronflements qui m’oblige à battre en retraite ; nuit affreuse. (Le lendemain) Je trouve une petite pièce où nous pourrons dormir sur la paille ; nous avons une popote assez convenable chez des réfugiés.

15 fév.

Rien de nouveau ; bonnes promenades dans les bois avec Jean ou seul ; visite au sanctuaire de St Joseph sur la route de Bar.

16 fév.

À 6 h.1/2 du matin nous voyons la fine silhouette de Boule se dessiner sur notre fenêtre : “on part dans 1/2 heure en autobus ; le gbd est prêt” Réveil peu agréable, mais le moral est toujours bon. Nous partons à 7 h. pour Combles où nous embarquons en autobus ; nous revoyons les bonnes gens qui nous ont si bien traités il y a quelques semaines la mère Gobert en particulier. Le train doit venir par étapes et nous rejoindre demain soir. À noter que Perret nous suit avec Barre et Dalmier ; or pourquoi sont-ils au front ? pour faire fonctionner le laboratoire qui, lui, n’arrivera que demain soir ; mais on a dit que le détachement d’infirmiers devait partir et Perret en bon officier qui ne cherche que son avancement n’en demande pas davantage ; il exécute stupidement un ordre sans essayer de l’interpréter ; on parle beaucoup trop souvent de la servitude et de la grandeur militaire ; je ne vois guère que la 1ère ; où y a-t-il de la grandeur dans l’armée ? Qu’on ne me parle pas de la grandeur du sacrifice chez le soldat qui meurt pour son pays. Les vaillants qui tombent sont pour la plupart de braves gens qui ne sont pas plus militaires que moi ; s’ils sont héroïques, ce n’est pas parce qu’ils ont un uniforme, cest parce qu’ils ont un coeur pour aimer les parents, la femme, les enfants laissés au foyer et parcequ’ils ont la volonté de les défendre au prix de leur vie ; ils savent tous que la victoire allemande marquerait le triomphe de la force sur le droit, du militarisme sur le pacifisme. Voilà le point de départ du sacrifice chez la plupart de nos héros. Est-ce quelque chose de militaire ? Comment peut-on admettre que les dépots et formations de l’arrière soient remplis d’officiers et de sous-officiers de l’active ? Ils ont choisi librement la carrière militaire pour différentes raisons, parce qu’on a un bel uniforme, parce qu’on ne fait jamais aucun travail, parce qu’on est salué dans la rue par des gens qui vous craignent, parce qu’on a des inférieurs à écraser de son mépris. Qu’on ne vienne pas me parler de vocation militaire ! On la connaît ! Mais ces gens là étaient payés pour faire la guerre ; l’armée est destinée, je crois, à cet usage. Cela ne les empêche pas de faire des efforts désespérés pour s’embusquer. Bien entendu, je ne généralise pas ; je connais des off. et sous-off. de l’active qui ont bien fait leur devoir. Pourquoi laisse-t-on à l’arrière les médecins de l’active qui eux aussi étaient payés pour faire la guerre. Nous emportons un brancard pour 4 hommes. Ca doit chauffer sans doute ; un ordre du jour de De Bagelaire, écrit d’ailleurs dans un français déplorable semble le dire ; voici à peu près les termes :  « en cas d’attaque de l’ennemi la conduite à tenir est simple : l’allemand ne passera pas, il perdra beaucoup de monde et en fin de compte il sera contre-attaqué. Donc que chacun n’ait qu’une consigne : vaincre ou mourir » A Combles cependant j’apprenais que rien ne presse, que nous allons au front par étapes. Voyage en auto par Bar, Erize jusqu’à Chaumont où nous débarquons par une pluie battante. Jean déniche une bonne vieille qui nous vend des oeufs, nous donne l’hospitalité pendant qu’on nous cherche un cantonnement. L’état-major nous a assigné une ferme située à 2 kil. Elle existe sur les cartes d’état-major ; seulement on a oublié de noter qu’elle a été détruite par les Boches il y a 16 mois ; tout cela donne n’est-ce pas, l’impression d’une bonne organisation ! ! ! En fin de compte on nous dit d’aller cantonner à Pierrefitte. Marche d’une dizaine de kilomètres sur une route inondée ; nous longeons la vallée de l’Aire site assez joli mais entièrement couverte d’eau. A mi-chemin nous trouvons le coquet village de Longchamp. Nous arrivons à la nuit à Pierrefitte. Là, comme d’habitude pas de cantonnement. On nous fait attendre près d’une ½ heure dans la rue ; il fait presque froid et nous sommes couverts de sueur ; mais qu’importe tout cela pourvu que les officiers aient une chambre et un bon lit. Enfin S. appelle les caporaux et leur indique les cantonnements de leurs équipes ; mais comme il lui tardait d’aller se chauffer et se pomponner, et que le bien-être de ses hommes est le dernier de ses soucis, il met 60 hommes là où il n’y a pas de place pour plus de 90. (Aussi vois-je) La 2è équipe est dans la rue, ne sachant où aller ; les hommes sont éreintés, transis de froid et complètement dégoûtés de voir que personne ne s’occupe d’eux. Alors, bien que ce ne soit pas du tout mon rôle, je me mets en quête de cantonnement pour eux. Je vais me présenter à un moulin ; la meunière fort aimablement accepte de me donner sa grange pleine de foin. A peine la 2è est-elle installée, que Louis et Vallée viennent me demander de loger la 4 qui est aussi à la rue. Je finis par trouver une 2è grange. Pendant ce temps Sigaud et compagnie sont en train de se prélasser avec la conscience du devoir accompli. Vive l’armée ! Nous installons notre popote dans une cuisine fumeuse infestée de tringlots où nous faisons un repas assez copieux. Après quoi nous allons roupiller, enfouis dans du foin. Le vieux lion et Béatrix couchent dans un tombereau où ils sont l’objet de violentes attaques de la part des soldats du génie installés dans la grange.


 

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