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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte0

le général va me remettre la palme de ma croix de guerre

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17 fév.

Après une nuit assez bonne on vient nous réveiller à 7 h. pour partir à 7 h.1/2. On nous avait tout simplement oubliés ! On se prépare en vitesse et on va se rassembler sur la route. Là on attend tellement qu’un régiment de tirailleurs passe et nous barre la route. Attente d’une heure dans la boue. Enfin nous prenons la suite du régiment ; mais au bout d’un kilom. Il s’arrête. S. se fait ramasser en voulant le dépasser. Innombrables stations sur la route, par un temps affreux. Nous arrivons à Chaumont où nous devons boulotter pour continuer sur Deunoux. Nous arrivons à ce dernier patelin vers midi ½ ; c’est un très joli village situé dans un bas-fonds habité par des gens très accueillants. Les Boches y sont passés et s’y sont d’ailleurs fort mal comportés. Le clocher a reçu plusieurs obus. A notre grande stupéfaction, nous apprenons que Magne nous a trouvé des lits. Nous ne pouvons en croire nos oreilles. Il y a bien longtemps qu’on ne s’était pas occupé de nous pour nous rendre service ; et cette fois encore c’est un médecin d’ambulance qui l’a fait ; M. le lui avait demandé, parait-il, mais enfin ce n’était pas là le plus difficile. Nous avons 5 lits dans les dépendances du château et 2 autres dans une maison du village ; Jean et moi nous nous y installons. Notre popote est installée chez un brave instituteur en retraite M. Lemoine qui nous reçoit extrêmement bien et met sa cuisine et sa salle à manger à notre disposition. Nous nous envoyons un repas fort convenable. Après déjeuner, nous apprenons l’arrivée d’un régiment entier d’artillerie. Le colonel commence par ramasser nos brancardiers et s’indigne, parce qu’il a vu qu’une pièce ( !) du château était réservée aux médaux ! Il raconte à qui veut l’entendre qu’il couche sur la paille et que tous ses officiers devront faire comme lui. Pour ça, je ne demande pas mieux, car si on avait voulu loger tout ce monde dans des lits, nous étions fatalement luxés. Le soir, pendant le dîner, nous voyons rappliquer Evariste qui est à notre poursuite depuis 5 ou 6 jours. Nous allons passer la veillée au château où sont restées 2 bonnes fort aimables qui nous ont fort bien reçu le matin. Nous passons une bonne partie de notre temps à nous chauffer. Il fait un temps froid et humide.

18 fév.

Bonne roupillante dans un bon lit ; cela nous repose entièrement des fatigues des journées précédentes. Le train nous a rejoint hier soir et nous pourrons enfin expédier des lettres. J’ai prévenu tout mon monde que le service postal fonctionnait très irrégulièrement, mais je crains toujours qu’on s’inquiète à mon sujet, surtout Papa et Maman. Aussi sommes nous tous radieux quand nous voyons le brave Carbonel partir pour le Q.G. Perret qui habite chez le père Lemoine doit être furieux de voir des médaux, des sous-off. boulotter dans une aussi belle salle à manger ; d’autant qu’on prend un malin plaisir à lui bourrer le crâne pour lui faire croire qu’on fait continuellement des orgies alors que les officiers la sautent à pieds joints. Avec des frais formidables ils arrivent à dépenser 30 sous par jour et ils voudraient avec ça bouffer des faisans. Les bons médaux s’amusent à jeter une planche au ruisseau pour l’arrêter plus loin au passage ! Faut-il être abruti ! Je commence à croire que nous devenons un peu militaires. Causerie dans la cuisine du château ; on nous raconte le passage des boches qui ont tout cassé après avoir fait ribote. On nous annonce le départ pour demain probablement.

19 fév.

Nous filons à 8 heures pour Lemmes ; nous partons à regret ; nous étions tout à fait bien installés ; popote somptueuse, un bon pieu, de braves gens à fréquenter. C’est la guerre. Nous traversons un pays plus ou moins désert ; quelques bois abîmés pendant la bataille de la Marne. Nous arrivons à Lemmes, ignoble patelin où il fait un froid de loup, habité par des gens qui ne s’en font pas du tout, bien qu’on entende bien le canon. Nous trouvons une popote et moi je déniche un lit, alors que S. et cie vont coucher sur la paille ! ! On m’annonce que le lendemain en grande pompe le général va me remettre la palme de ma croix de guerre. Bon roupillon.

20 fév. dimanche.

Je peux assister à la messe et communier. À 9 h.1/2 prise d’armes ; on donne la légion d’honneur à M. Tupey-Girard et plusieurs croix de guerre à M. Moly, etc. ... Mon brave Jean a braqué sur moi mon Kodak pour prendre un cliché au moment où le général sera devant moi. Oh ! que je voudrais que Papa, Maman et toute la maisonnée soient à une fenêtre de la place de Lemmes à ce moment ! Le général a un mot aimable pour chacun, en particulier pour les brancardiers. En voilà un au moins qui reconnaît que notre rôle est utile et que nous méritons parfois des éloges. C’est une des plus belles figures de soldat que j’ai jamais rencontré ; il est adoré de ses hommes, de la plupart de ses officiers et sa vue seule inspire le respect. Exception malheureusement.


 

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