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Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC, "poilu" de la Grande Guerre |
Y penser toujours, n'en parler jamais |
Discours de l’Abbé Desgranges au CAYROL
Je dois à l’amitié très vive qui m’unissait au major Clément Cambournac, l’honneur d’évoquer sa figure attachante et noble, au pied de ce monument qui gardera à sa commune natale ses restes glorieux.... En parlant de nos morts aimés, le poëte a dit : .....Ils dorment dans les cimetières, mais dans nos coeurs ils sont assis. Comme c’est vrai ! Ils demeurent tout près de nous. Leur influence bénie nous enveloppe alors même que nous n’y pensons pas. Leurs inspirations guident nos démarches, leur encouragement soutient nos efforts et aux heures de recueillement nous voyons en nous leur image. Notre cher Clément m’apparait ainsi, sous deux aspects, également précieux, qui se succèdent tour à tour et se complètent.
Je revois l’étudiant de 18 ans à peine, qui pénètre pour la première fois dans mon cabinet de travail. Il est grand, élancé, le regard attentif et fin dans l’ovale frais et candide de son visage d’enfant, les lèvres aimantes et pures sous la moustache naissante, un peu timide, très doux, mais décidé et brave ; un vrai fils de vos montagnes du Rouergue dont les vastes horizons ont rempli les yeux et agrandi les rêves ; qu’une nature et un climat rudes ont accoutumé de bonne heure à l’endurance et à l’effort ; de cette race vigoureuse et entreprenante dont j’ai rencontré partout au cours de mes voyages à travers le monde, les représentants, parfois illustres, toujours vaillants et respectés, et dont la foi religieuse, plantée en force, se couronne d’une auréole de vertus, comme votre puissante Cathédrale de Rodez élève sur sa tour géante la couronne de ses har- monieuses sculptures...
Il a grandi dans un foyer peuplé, anobli par le labeur, réchauffé par la tendresse mutuelle, toujours bruissant de l’argentine musique des rires enfantins, sous l’influence délicate et pieuse d’une vraie chrétienne, sous l’autorité douce et indiscutée d’un père qui, depuis près d’un demi-siècle, a transmis aux générations d’écoliers, sans le mutiler jamais par d’arbitraires négations, l’héritage de toutes les vertus françaises., et en qui je salue avec respect, l’un des doyens et le modèle des instituteurs. D’un esprit ouvert, réfléchi et juste, Clément s’assimila chaque jour les leçons de son père, puis celles de ses maîtres excellents d’Espalion et de Rodez. Je fus charmé de découvrir en lui une vaste et solide culture que dominaient encore l’élévation de sa conscience et l’enthousiaste générosité de ses désirs.
Il avait embrassé la carrière médicale, et me donnait un jour les raisons de ce choix ; en soignant les maladies du corps, il gagnerait la confiance des familles ; devenu leur ami et leur confident, il réussirait à consoler les coeurs et à relever les âmes. Il se faisait une idée très haute et très belle du rôle social des médecins et se préparait à le remplir dans toute son étendue. Après avoir consacré la journée aux études médicales, aux travaux du laboratoire, de l’amphithéâtre et de l’hôpital, lorsque venaient les heures du délassement et du loisir, au lieu de s’adonner aux plaisirs de son âge, il consacrait ses soirées aux enfants des patronages et aux séances un peu austères de nos cercles d’études sociales.
On le voyait souvent en compagnie de jeunes apprentis qui l’aimaient comme un frère ; il protégeait leur inexpérience et les détournait doucement du mal en attachant leur jeune coeur à toutes les nobles causes. L’un d’eux devenu patron et père de famille, me disait ces jours-ci avec émotion, que l’influence de Clément l’avait sauvé durant les périlleuses années de son apprentissage à Bordeaux.
Il collaborait aux études et aux entreprises des catholiques sociaux : souvent il franchissait des centaines de kilomètres à bicyclette, pour nous aider dans l’organisation d’un Congrès ou d’une Conférence. On le trouvait toujours à l’heure critique, accomplissant en silence les tâches ingrates. En voyant ainsi grandir sa compétence et son influence sociales en même temps que sa valeur professionnelle, tous pouvaient prévoir qu’il serait bientôt, dans l’heureuse province où il allait se fixer, un point d’appui, unentraîneur, un chef, et nous fondions sur lui les plus belles espérances.
Hélas ! il ne devait pas être l’apôtre qui projette la lumière, mais le héros qui donne son sang. Je le revois à 24 ans, sous les murs de Verdun, sous ce secteur d’Avocourt, du Morthomme et de 304 où nous avons vêcu trois mois, tout près l’un de l’autre, en 1916, l’année même de sa mort. Une barbe noire encadre sa figure brunie et ses traits plus énergiquement accusés ; les membres sont devenus plus robustes, le front plus grave, les yeux plus profonds, plus chargés de pensée. La 37è Division dans laquelle il servait, était accolée à la 34è à laquelle j’appartenais ; nous montions en ligne par le même boyau formidablement bombardé ; nos postes de secours se dissimulaient dans les mêmes ravins. J’entendais parler ses chefs, ses brancardiers, ses zouaves ; tout ce qu’on me disait me rendait très fier, mais si inquiet ! Sa bravoure était légendaire... Le mot a été écrit officiellement par M. le Médecin Divisionnaire, mais il reste gravé dans l’admiration de tous ses compagnons de combat. On le voyait toujours sur les points les plus dangereux, qu’il s’agisse de pousser d’audacieuses reconnaissances, ou de relever les sanglantes victimes de la bataille.
Son dévouement au blessé, n’avait pas de bornes ; il accourait vers lui, le pansait, le transportait avec une tendresse ingénieuse et sûre. À peine arrivé dans un secteur, il en connaissait bientôt tous les accidents de terrain et tous les replis, tous les périls et toutes les ressources ; il utilisait cette connaissance, avec un art consommé pour disposer ses relais et ses postes de secours. Aux jours d’attaque, il décuplait par son exemple le zèle de ses brancardiers, et obtenait d’eux une prodigieuse intensité de travail ; doué d’un esprit éminemment organisateur, il réussissait à enlever, à transporter tous les blessés quelque nombreux qu’ils fussent, dans le minimum de temps, et avec le maximum de confort et de sécurité. Il estimait qu’un chef ne doit pas tirer avantage de ses galons, ni en faire sentir le poids aux inférieurs, mais justifier cet honneur en s’exposant et en se dévouant plus que les autres. Pour lui, le médecin militaire, était le représentant de toutes les mères qui donnent leur fils à l’armée, et il veillait sur leur santé et sur leur vie avec la sollicitude d’une mère. Son inlassable activité n’avait d’égal que sa modestie. Il a fallu que le cri de reconnaissance des officiers et des soldats de sa Division retentis(se) d’une façon bien impérieuse pour que les palmes et les étoiles qui ornent sa Croix de guerre lui fussent décernées. Non seulement il n’avait pas fait la moindre démarche pour les obtenir, mais il s’éffaçait toujours lorsqu’il était question de répartir les récompenses parmi ses camarades de combat. Sa mort, mieux encore que ses citations et que la Légion d’honneur elle- même, révèle ce que fut sa vie.