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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte40 Le 15 décembre 1916, la 37ème division est engagée dans la 1ère Bataille Offensive de Verdun pour reconquérir le terrain perdu...

je veux que vous puissiez être fiers de moi... Adieu, cher Papa, chère Maman, pardonnez-moi de vous avoir parfois causé des soucis

texte40 Clément Cambournac est mortellement blessé le 15 décembre 1916, à Verdun, à l’âge de 24 ans. Voici une lettre qu’on a trouvée après sa mort.
Décembre 1916
 

Bien Chers Parents, Bien Chères Soeurs, Bien Cher Urbain, 

On nous a annoncé, il y a quelques jours, que la division allait faire une attaque sur le bois X.. Ça va chauffer surement, les Boches ont en face de nous beaucoup d’artillerie, et ils sauront s’en servir. Bien entendu, j’espère bien m’en tirer tout de même ; la Providence m’a toujours protégé jusqu’ici ; à maintes reprises, j’ai été préservé presque par miracle. Mais cela peut ne pas durer, et il faut songer à tout. Si je suis tué demain ou après-demain, un de mes camarades vous préviendra et vous donnera tous les renseignements utiles pour l’avenir. Il est une chose sur laquelle je tiens que vous soyiez fixé : c’est que, si votre Clément meurt, il le fera en bon chrétien et en bon Français. 

À vous tous, je donne rendez-vous au ciel. Je crois avoir observé la loi de Dieu et j’ai confiance en sa miséricorde. J’ai fait la sainte Communion plusieurs fois depuis Pâques. Pendant toutes mes permissions, je vous ai donné quelques détails sur mon rôle au groupe des brancardiers. J’ai toujours eu le désir de ne pas vous effrayer inutilement ; maintenant ce souci n’a plus sa raison d’être, puisque vous ne lirez ma lettre qu’après ma mort. Je sais que ce sera pour vous une consolation de savoir que j’ai toujours fait mon devoir, même lorsqu’il était difficile et dangereux. 

Pendant ma première année de guerre, j’ai joué un rôle assez quelconque, malgré toute ma bonne volonté. Là-dessus est arrivée l’offensive de Champagne (septembre 1915). Le 20 septembre, notre aide-major, notre officier d’administration, trois de mes camarades et une huitaine de brancardiers ont été blessés, dont plusieurs grièvement. .... Le Médecin-Chef était au groupe depuis quatre ou cinq jours. Il m’a demandé de vouloir bien le seconder de toutes mes forces. Je me suis vu ainsi, d’un jour à l’autre, chargé de diriger tout le groupe, au lieu d’être simplement le chef d’une équipe de quinze brancardiers. Pendant quinze jours nous avons travaillé sans relâche. Lorsque nous avons été relevés, j’ai été chaleureusement félicité par tous mes chefs. Ils m’ont proposé pour la Médaille militaire. Mais en haut lieu, on a jugé que je n’étais pas assez pistonné, et on a rayé ma proposition. (C’est pour cela que je ne vous en ai jamais parlé.) Ce qui m’a fait beaucoup plus de plaisir que les félicitations de mes supérieurs, c’est d’avoir la certitude que mes brancardiers après m’avoir vu à l’oeuvre, avaient pour moi beaucoup d’estime. Ils savaient qu’en partie, grâce à moi, le groupe avait fait pendant toute l’offensive un travail formidable avec le minimum de pertes. Lorsqu’on m’a cité un mois après à l’ordre de l’armée, j’ai été particulièrement heureux de savoir que tous mes camarades et tous les brancardiers des tringlots (que je ne ménageais pas cependant quand il s’agissait de faire du service utile) étaient satisfaits que cette distinction me fût accordée. 

Après cela, vinrent en février les affaires de Verdun ; le groupe n’eut pas l’occasion de faire beaucoup de travail. Il trouva moyen, cependant, d’avoir des tués et des blessés. À B..., où notre cantonnement fût bombardé, je crois pouvoir affirmer que j’ai fait tout mon devoir. Quelques jours après, étant au repos, j’ai saisi plusieurs conversations qui m’ont prouvé toute l’estime et toute l’affection que mes hommes avaient pour moi. Lorsqu’on m’a nommé aide-major, un ordre supérieur m’a affecté un groupe de batterie de 75. Le Médecin-Chef et le divisionnaire ont demandé que je sois affecté au groupe, ce qui est tout à fait anti-règlementaire. Jusqu’aux autres officiers, qui n’étaient pourtant pas mes amis, qui ont accepté d’être sous mes ordres à l’occasion (en l’absence du Médecin-Chef). 

J’ai eu fréquemment à souffrir pendant la guerre, j’ai eu ma part d’ennuis, de déceptions cruelles, mais j’ai eu aussi de bien douces consolations et en particulier, la certitude d’avoir gagné l’estime et l’affection de mes inférieurs. J’ai tenu à vous dire tout cela, car je veux que vous puissiez être fiers de moi. Le rôle que j’ai joué était souvent dangereux (je n’ai jamais songé à jouer le rôle stupide de la plupart des médecins du groupe de B..., rôle qui consiste à se laisser vivre, à avoir l’air de faire quelque chose). Je me suis toujours souvenu que je n’étais pas seul au monde et que je devais penser à vous tous. Pour cette raison, j’ai toujours été très prudent. Mais cela ne pouvait évidemment pas m’empêcher de faire mon devoir ; si je meurs, c’est en le faisant que j’aurai été tué. Ne soyez pas trop attristés par cette nouvelle. Votre Clément aura eu la plus belle mort que l’on puisse rêver, celle qui survient dans l’accomplissement du devoir ; mon sang aura été versé pour le soulagement des vaillants qui défendent notre sol. 

Je prie de tout mon coeur que Dieu vous donne le courage pour supporter l’épreuve ; qu’il protège Urbain pour qu’il puisse, après la guerre, vous entourer de son affection. En ce moment un peu tragique, je prie aussi pour que Dieu vous donne une foi très vive à vous deux, chère Marie et chère Hélène, qui aurez peut-être à fréquenter des gens dont la guerre n’aura pas tué le scepticisme. C’est à la Foi que je dois d’avoir toujours pu, sans aucune peine, faire mon devoir. 

Adieu, cher Papa, chère Maman, pardonnez-moi de vous avoir parfois causé des soucis ; adieu chère Laure, qui a été pour moi une bonne petite maman ; adieu, cher Urbain, chère Marie, chère Hélène, merci de votre douce affection. Au Ciel, je penserai à vous, je prierai pour vous. Je vous serre tous dans mes bras. 

Votre Clément.

 

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