entete

Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte0

leur fils a mérité la Croix de guerre

texte62
24 juin 1915

Mon bien cher Jean, 

Pour le jour de ta fête, heureuse coïncidence, il m'est arrivé la chose la plus agréable, la plus chère à laquelle puisse songer un soldat : j'ai été cité à l'ordre du corps d'armée. Je n'ai pas voulu attendre plus longtemps pour te l'annoncer, persuadé que tu prendras part  à ma joie. Je rentrais, plongé dans le plus sombre cafard, lorsqu'à mon arrivée le médecin-chef me fait appeler et me remet ma citation. Voici le motif invoqué : "lors des combats des 6 et 7 juin, pendant 18 heures de jour et de nuit, a assuré sous un feu violent et sans arrêt, avec zêle et dévouement, le fonctionnement du relai d'ambulance de X.... évacuant près de 600 blessés".

J'avoue que cela a suffi à chasser au moins pour quelques instants les idées noires. Je suis heureux pour moi-même, pour le Patron à qui la nouvelle sera, je l'espère, agréable, surtout pour mes chers parents qui vont être si fiers quand ils sauront que leur fils a mérité la Croix de guerre. Certains esprits chagrins critiquent le rôle des médecins de guerre ; je crois que personne n'a rien à me reprocher. si j'ai le malheur de ne pas crever à la guerre, je pourrai tenir tête à quelques flambards qui, sous prétexte qu'ils ont (et pas nous) le droit de tuer, veulent faire les matamores.

Depuis le 6 juin, date des premiers combats, nous avons eu maintes alertes et de la belle musique ; à plusieurs reprises, nous avons eu un travail fantastique, en particulier le 6 et le 7. Le Médecin-Chef m'avait donné ce jour-là le poste de confiance et mis 4 sections, au lieu d'une, à ma disposition. J'ai travaillé sans arrêt au moins 24 heures ; puis 2 ou 3 heures de repos et ça a recommencé etc.... J'ai été d'ailleurs largement récompensé et je ne regrette rien ; je me suis souvent trouvé ces jours-là et les suivants dans des situations plutôt difficiles et je n'ai pas eu la moindre égratignure. Dès lors, il n'y a qu'à continuer à mener la même vie insipide ; nos occupations sont toujours les mêmes ; l'autre jour, il y a eu cependant une petite variante ; je suis allé avec mes hommes faire la désinfection des tranchées prises aux Boches, qui regorgeaient de cadavres d'ennemis. J'ai eu l'occasion de mettre encore une fois au défi un de ces combattants qui prétendent monopôliser le courage ; je te raconterai tout cela plus tard ; tout ce que je puis te dire, c'est qu'on n'a pas pris ce jour-là les médecins pour des lâches.

courrierEcris-moi longuement, parle moi de tes occupations, de tes blessés, de tes projets..... Ecris-moi aussi souvent que tu le pourras ; l'arrivée du vaquemestre est de beaucoup le meilleur moment de la journée et on est si content de n'avoir pas été oublié, lorsqu'on est aux prises avec le sombre cafard.

Je t'envoie quelques photos cette fois peu intéressantes ; mais je n'en ai pas d'autres de prêtes.

Adieu, mon cher Jean, à bientôt une bonne lettre, je t'embrasse de tout coeur

Clément

 Journal

page suivante