Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC, "poilu" de la Grande Guerre |
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Y penser toujours, n'en parler jamais |
Mon bien cher Jean,
Pardon une fois de plus d'avoir beaucoup tardé à te répondre. Mes meilleurs félicitations pour ta nomination ; elles viennent en retard ; ta lettre m'est arrivée à la fin de notre repos. Peu après, on nous a dirigé sur le front par étapes et à pied ; le voyage a été long, pénible. A notre arrivée il a fallu reprendre la vie de secteur sur un des points les plus mouvementés du front. Il n'y a pas de vie plus abrutissante que celle-là et pour cela tu m'excuseras d'avoir été si négligeant.
Je suis fort heureux que les galons de médaux soient enfin venus couronner tes efforts et satisfaire ta légitime ambition. Je souhaite que te restes dans ton hôpital où tu rends sûrement plus de services que n'importe où ailleurs. Tu voudras bien m'écrire bientôt, me dire quel est à présent ton rôle, ce que tu comptes faire. Si on arrive assez vite sur le front à être abruti pour négliger à ce point sa correspondance, en revanche on éprouve toujours le même plaisir à recevoir une bonne lettre qui nous apporte un peu d'affection.
Nous voilà donc dans un secteur depuis plus d'un mois ; les débuts ont été très pénibles. Le médecin-chef m'a chargé d'organiser tout le service et ce n'est pas une petite affaire lorsqu'on n'a pas d'ordres, pas d'instructions, pas de renseignements, qu'on est livré à soi-même avec libre champ à l'initiative. C'est d'autant plus ennuyeux que si on fait la moindre bêtise, on est blamé par ses supérieurs, traité d'imbécile par ses inférieurs. Pendant une huitaine de jours j'ai fait une...
(suite perdue, et FIN)
Finalement
Jean quittera Rochefort pour s'embarquer comme médecin-officier sur
le croiseur-cuirassé Bruix[*], faisant campagne aux Dardanelles
contre l'empire Ottoman puis au
large de la Russie ou de l'Ukraine. Les lettres de Clément furent
conservées
dans la maison familiale de Jean en Lot-et-Garonne depuis un siècle... Et
grace à
internet, il a été possible de retrouver et d'y adjoindre
les carnets de Clément CAMBOURNAC, recupérés
auprès de la soeur de Clément par un dentiste amateur
d'Histoire. * : "La
guerre ne s'est pas terminée le 11 novembre 1918. (...) Il ne
s'agit plus d'en finir avec le militarisme prussien mais de se dresser
contre la révolution russe. (...) Le port d'Odessa est choisi
comme base principale pour l'accès de nouvelles unités
alliées et la flotte française est mise à
contribution. (...) Un mois après l'armistice, les escadres de
bâtiments français, basés en
Méditerranée, se sont vu ordonner d'appareiller. (...)
Les unités de la flotte française mouillent
déjà dans la rade d'Odessa depuis le 17 décembre
1918. (...) Devant Odessa, 'Le Touareg', le 'Waldeck-Rousseau' et le' Bruix'
sont gagnés par l'esprit d'insoumission aux ordres. (...) Ces
matelots et soldats de l'infanterie de marine ne sont pas des 'rouges'
dans leur majorité mais tous manifestent contre une guerre
qui se prolonge alors qu'ils avaient espéré une
libération rapide. (...) En quelques semaines, les
événements se précipitent, et les troupes
françaises, désormais considérées comme peu
sûres, sont évacués vers la France, tandis que
l'escadre regagne Bizerte." Le Bruix est de retour à Toulon en juin 1919.
Extrait de 'De la Victoire à la Débacle' par Maurice Rajsfus, Ed. Le cherche midi