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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte52 Sur le front, les Allemands échouent à s’emparer des ports français de la Manche, grâce aux inondations provoquées par les Belges dans la région de l'Yser. Fin octobre, ils lancent une vaste offensive en Belgique.

Tu peux croire à la lettre les journaux qui disent que le moral des troupes est excellent.

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17 novembre 1914

Bien cher ami,

Je t'écris confortablement installé dans le cabinet de travail d'un ingénieur, devant une élégante cheminée où flambe une bonne souche de chêne. D'après ce petit tableau, tu dois te figurer que je trouve tout à fait à l'arrière. Détrompe-toi, je me trouve actuellement à 600 mètres des lignes allemandes. Mon rôle consiste pour aujourd'hui à assurer le transport de blessés d'un refuge au poste de secours et les expédier ensuite sur l'ambulance. Mes brancardiers sont logés très confortablement dans une ferme et, en face d'eux, j'ai jeté mon dévolu sur une coquette habitation abandonnée par ses propriétaires. Pour la 1ère fois depuis longtemps, j'ai pu écrire sur une table, assis dans un fauteuil et devant un bon feu. Tout à l'heure je vais me coucher sur un superbe matelas, chose dont je commence aussi à perdre l'habitude ; j'aurais même couché sur un lit au 1er étage, si une vilaine "marmite" n'avait il n'y a qqs jours enfoncé la maison en épargnant le rez-de-chaussée où je suis installé.

Ce matin une heure après mon arrivée, les Boches ont tenté une attaque furieuse, ce qui nous a valu d'entendre une fois de plus de la belle musique ; les balles sifflaient dans les rues du village ; un obus a même cassé les carreaux de ma maison ; je me suis fait ramasser par un colonel parce que je me dirigeais vers une partie du village particulièrement exposée. Dans la soirée, après une lutte de 5 ou 6 heures, les Boches ont été repoussés avec des pertes plus que doubles des nôtres ; qqs heures de silence relatif ! et puis voilà que, depuis la tombée de la nuit, ça recommence de plus belle ; j'ai les oreilles pleines du bruit des salves, des obus et des mitrailleuses ; j'y suis presque habitué et je vais peut-être m'éveiller lorsque ça cessera, de même que le meunier s'éveille quand son moulin s'arrête !! 

Dans ces conditions là, la guerre présente un certain intérêt, plus que ces jours derniers où j'étais contraint de rester dans l'inactivité presque complète à notre cantonnement. J'ai eu cependant il y a quelques jours une très agréable émotion ; on est venu nous réveiller dans la nuit pour nous dire d'être prêts à filer dans une heure ; les Français tentaient une attaque très violente qui a d'ailleurs donné certaines résultats ; nous avons embarqué nos bagages en chantant la Marseillaise, le chant du Départ qui se mêlaient au bruit de la fusillade et de la canonnade dans la nuit ; c'était harmonieux et aussi émouvant.

Ca ralentit ; ils vont nous laisser tranquille plus tôt que je ne croyais ; chacun va prendre un repos bien mérité ; la journée a été très chaude ; il y a eu plusieurs charges à la baïonnette et nos soldats sont absolument merveilleux ; les blessés veulent tous repartir en vitesse après le pansement ; c'est on ne peut plus réconfortant. D'ailleurs à un courage et à une abnégation admirables, ils joignent une entière bonne humeur, et ils trouvent partout une occasion de rigolade. Deux d'entre eux, aux avants postes, n'ont-ils pas l'autre jour, lancé dans la tranchée allemande, pliée dans un journal relatant les victoires russes et l'échec allemand sur l'Yser, une miche de pain avec l'inscription "Pour vous empêcher de crever de faim". Le jour de la victoire russe en deça de la Vistule ils ont passé plusieurs heures à chanter des chants patriotiques à 150 ou 200 mètres des Allemands, après avoir fait faire par un soldat à voix retentissante la lecture des communiqués officiels en français d'abord, puis en allemand. Le tout s'est terminé par quelques apostrophes à Guillaume, une salve bien sentie et une vibrante Marseillaise. Tu peux croire à la lettre les journaux qui disent que le moral des troupes est excellent. Quand on va démarrer d'ici, ce sera terrible pour les Boches ; j'ai l'espoir de célébrer la Noël à Liège, de fêter un peu le Carnaval à Coblence et de faire mes Pâques ou tout au moins de célébrer mon

(suite perdue)

Journal au 17 novembre


 

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