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Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC, "poilu" de la Grande Guerre |
Y penser toujours, n'en parler jamais |
Jour de la Toussaint. Lever à 6 heures. Promenade à travers (bois) la forêt qui constitue aux premiers rayons du soleil d’automne un spectacle féérique. Aperçu 2 chevreuils. Rentée à Offémont, à jeûn. Messe dans la petite chambre ; je fais la Ste Communion. Le soir, M. Courtin photographie les prêtres aveyronnais qui ont bien voulu m’inviter à poser avec eux devant l’objectif. Nous allons photographier les 95. Migraine épouvantable tout le soir. Le matin j’ai vu pour la première fois un prisonnier allemand ; c’est un bon vieux réserviste qui a reçu un coup de baïonnette ; il fait surtout pitié et je n’éprouve aucune animosité en le voyant courbant la tête, les yeux fixés à terre, humilié.
Je vois mon 2è prisonnier, un aspirant officier, plus fier que celui de la veille ; il nous confirme que les soldats allemands ont bien été trompés sur les causes de la guerre : “c’est la France qui a voulu la guerre” ! ! ! nous dit-il.
De service à Bimont, le patelin le plus infect de la création. Je m’y ennuie terriblement toute la journée. Le matin quelques marmites tombent à proximité de la ferme, faisant un bruit épouvantable.
Je couche au poste des tirailleurs avec le docteur Sorel. A 10 heures arrive un capitaine de tirailleurs blessé par un éclat d’obus au cours de l’arrosage de Puisaleine par les Boches. Il est dans un état de surexcitation terrible et nous avons toutes les peines à le décider à filer sur l’ambulance ; il veut rejoindre ses hommes ; il s’informe auprès de ceux qui l’ont accompagné de l’état des officiers et soldats qui l’avoisinaient au moment de l’explosion et à cette seule pensée il se met à pleurer.
Ses soldats, vieux tirailleurs éprouvés, sont eux aussi très émus lorsqu’il part sur la voiture d’ambulance. Je le fais conduire à Offémont où je l’accompagne. Retour à Bimont vers 1 heure du matin. Je me réveille vers 3 heures ; la canonnade a repris avec cependant intermittence ; mais on entend très distinctement la fusillade et surtout les mitrailleuses dont le bruit parait se rapprocher de plus en plus. Je crains en jetant l’éveil et cependant j’ai l’impression que nos troupes reculent et que nous serons peut-être faits prisonniers.
Vers 4 heures, tout rentre dans un calme relatif. À 8 heures devant la ferme, je perçois le 1er sifflement de balle, qui me fait me “replier en bon ordre”.