Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC, "poilu" de la Grande Guerre |
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Y penser toujours, n'en parler jamais |
1er jour de la mobilisation. On confirme la nouvelle à quelques bons paysans qui n’en pouvaient croire leurs yeux, mais qui presque tous manifestent beaucoup de calme et de sang froid. Nous voyons descendre des voitures bondées de réservistes pas encore enthousiastes mais très calmes. Le Dr Astruc passe en auto revêtu de son uniforme d’auxiliaire (le mien) ce qui me permet de remuer un peu la fierté de Papa et Maman.
A 9 h.1/2 départ d’Urbain : oh ! quelle scène pénible ; Maman et mes soeurs n’ont pu retenir leurs larmes ; Maman est même obligée de rester à la maison au lieu de venir nous accompagner à la voiture de M. Vassal. Je descends à Espalion à bicyclette et je vais à la gendarmerie où on m’apprend que ma feuille de route n’est pas encore arrivée. A l’arrivée de la voiture, nous apprenons qu’Urbain devra partir directement pour Perpignan. Nous décidons d’aller voir l’Abbé Martel, Urbain et moi. Nous dînons à l’Ecole Libre avec lui et un Père marianiste d’origine alsacienne qui nous donne rendez-vous après la guerre devant la cathédrale de Strasbourg. Nous repartons et à mi-chemin nous trouvons M. Vassal qui est venu nous attendre en voiture : une demande de renseignements est parvenue à mon adresse et il faut aller y répondre ; à Espalion nous apprenons que les nouvelles du matin (neutralité de l’Angleterre) sont absolument fausses, que de tous côtés se crée un mouvement en notre faveur. Malgré le courant patriotique que cela provoque dans tout mon être, je me sépare le coeur bien gros de mon pauvre Urbain qui a très bon courage. Dans la côte je savoure les dernières nouvelles apportées par le “Télégramme” ; à mon arrivée j’essaie de faire vibrer la corde patriotique chez Maman et mes soeurs et j’y arrive en partie ; cela les console un peu.
Le lendemain je repars de bonne heure pour Espalion pour retrouver Urbain. Je vais l’embrasser à la gare où j’assiste à un départ de réservistes ; la veille dans les rues tout était calme et même triste ; aujourd’hui tout le monde crie et chante ; Guillaume est l’objet de plus d’une interpellation pas toujours bienveillante. Urbain part avec les Abbés Moncau et Cabanettes ; nous nous séparons pour de bon cette fois ; je le fais avec beaucoup plus de courage que la veille.
Promenade
sur la route d’Estaing où je me
fais interpeller par tous les réservistes qui me
prient de faire 1/2 tour. Je vais attendre
“l’Union” qui n’arrive pas ;
enfin par la “Dépêche”
j’apprends la déclaration de guerre de
l’Allemagne à la
Russie, l’annonce officielle de l’appui de
l’Angleterre, la neutralité de l’Italie.
A 11 heures on proclame l’état de siège
ce qui produit une émotion assez vive. A mon retour, le
soir, j’apporte quelques
bonnes nouvelles, celles dites plus haut et
quelques succès Serbes.
Sur la route tout le monde me demande des nouvelles ; les moissonneurs
dans les
champs cessent leur travail en me voyant, pensant que je vais leur
crier de loin la grande nouvelle ; ça mijote mais ce
n’est pas
encore pour aujourd’hui.