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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte0

on a amputé un pauvre petit blessé que la gangrène gazeuse a terrassé le surlendemain

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16 sept.

Premier incident avec mon abruti de caporal ; fort heureusement, je puis me consoler avec mon excellent ami Pouch et avec Cristol. Arrivée du flic Rascol ce qui n’améliore guère la situation.

Il est vrai qu’à tous les autres points de vue, c’est la vie rêvée, et je me souviendrai toujours des semaines passées à la Miséricorde comme comptant parmi les meilleures de ma vie : en plus de mon vieil ami Pouch, j’y ai connu d’excellents camarades dont je conserverai le meilleur souvenir : Cristol malgré ses rares moments de mauvaise humeur, Castanié souvent gai, toujours rigolo, Belugou aussi bon camarade sans compter Bourgoing qui y est resté à peine quelques jours, Rejon et Pech moins expansifs. Ah ! les bonnes parties de carte dans la salle de pansement en dégustant le café de la mère Castres ! Les bons apéritifs de la maison Castanié ! Les religieuses sont toutes admirables ; celles de ma salle m’ont traité d’une façon telle que je garderai pour elles un véritable culte ; j’ai eu le plaisir de retrouver parmi elles une compatriote Millavoise qui a été très dévouée à mon égard. C’est à elles surtout que je dois d’avoir pu supporter toutes les vexations dont j’ai été l’objet autant et plus que mes autres camarades, de la part de gradés stupides ! Comment ne pas avoir de la patience et de la résignation devant cette merveille de la religion catholique qu’est une soeur de la charité ! Les infirmiers sont pour la plupart très bons et très aimables : Guichard, Lassalle, en qui j’ai été heureux de trouver (un) compatriote ; après eux Compeyron, Loubier, Cornu, Gironella, Cantal, Milouin, qui me donnent une excellente idée du caractère espagnol, Germain l'Haricot dont les farces (qu’on lui a jouées) resteront célèbres (sac, bouteille). Les malades ne présentent pas moins d’intérêt : Provins toujours de bonne humeur et son nègre, St Leu, Morillon, Morizet, Delbecq, Veneau qui me considère comme son sauveur ainsi que Guyon. J’ai conscience d’avoir fait tout mon devoir à leur égard, et même plus que mon devoir à plusieurs reprises où d’autres ne le faisaient pas ; pendant 15 jours j’ai mené une vie épouvantable commençant ma journée à 6 heures pour la terminer à 7 heures du soir, presque sans aucun répit. Du moins ma conscience est absolument tranquille. Et puis ces malades méritaient vraiement qu’on s’occupe d’eux ; d’abord parce qu’ils avaient été blessés en défendant le sol de la patrie et aussi parcequ’ils m’ont toujours témoigné de l’intérêt et beaucoup de reconnaissance, à moi comme à tous ceux ou celles qui se sont occupés d’eux. Le 1er départ pour l’hôpital de Vinca a été extrèmement triste ; c’est un des rares mauvais moments passés à la Miséricorde. Les “Femmes de France” nous ont noyé d’infirmières.

De certaines d’entre elles je conserverai un excellent souvenir, toutes celles qui ont été affectées à ma salle ; elles m’ont été d’un précieux secours sinon par leur science du moins par leur bonne volonté et elles ont contribué à égayer nos matinées parfois un peu  trop monotones. L. et C. ... A ce moment de très bonnes nouvelles m’arrivent du Cayrol où on commence à ne plus trop se tourmenter sur le compte d’Urbain et sur le mien ; on me sait et on croit Urbain relativement en sécurité ; ce dernier m’envoie aussi d’excellentes nouvelles sur son compte ; il a assisté à des combats autour de Mulhouse et en est sorti sain et sauf ; il est actuellement un peu en arrière, et se trouve dans les meilleures cds. C’est alors que nos armées sont victorieuses sur la Marne ; quelques jours après, elles tiennent en échec et repoussent même les Boches sur l’Aisne. Un seul point noir à l’horizon : ma nomination de médecin auxiliaire n’arrive pas ; plusieurs de mes camarades ont été nommés sans avoir plus de titres que moi pour cela.

Ce qui rend cette inégalité bien plus douloureuse c’est que si j’avais été nommé en même temps qu’eux j’aurais pu aller rejoindre Urbain à la 66è division pour laquelle on avait demandé 2 médecins auxiliaires volontaires.

Nous attendons avec la plus légitime impatience la décision qui nous mettra à l’abri de la bande Rascal lequel se débrouille pour m’administrer iniquement une consigne que j’esquive et une garde que je sabote. 

Elle arrive enfin le 29 sept. Dès lors c’est la vie idéale : mêmes avantages qu’avant avec beaucoup plus de considération et surtout avec une liberté complète.

Une journée à la Miséricorde :

Lever à 6 heures ; appel ; je balayais pendant 1/2 heure ; après quelques minutes passées à la chapelle je préparais ma table de pansements ; à 8 h. tout le monde rapplique : puis 1 ou 2 de mes camarades ; les Dames de la Croix Rouge viennent m’offrir leur aide ; je m’amuse follement à me donner des airs de généralissime surtout à observer la docilité béate de ces bonnes infirmières, d’ailleurs fort gentilles. Distribution à 10 h.1/2 . Déjeuner à 11 heures 1/2 ; la bonne manille des familles puis encore des pansements ; à 3 heures ma salle terminée, je vais faire les pansements de quelques blessés d’autres salles qui me demandent spécialement. A 6 heures dîner, petite balade ; on va aux dépêches et on va roupiller pour recommencer le lendemain.

L’arrivée de l’administration civile ne change pas grand chose ; quelques engueulos du médecin-chef le 1er jour pour ne pas être allé à la salle de pansement ; on affecte à ma salle le Dr Delpont extrèmement aimable à mon égard ; j’installe ma petite salle de pansements.

C’est un des rares moments de ma vie où je puis dire qu’il ne me manquait pour ainsi dire rien. Je n’ose demander que l’avenir me ménage quelques journées comme celles que j’ai passées à la Miséricorde.

Hélas tout a une fin. Parmi les rares journées tristes que j’ai passées, je dois noter le mercredi 7 octobre, jour où on a amputé un pauvre petit blessé que la gangrène gazeuse a terrassé le surlendemain.

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