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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte0

je commence à m’aguerrir et je passe sans courber la tête.

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1er déc.

De service à Tracy ; je fais installer ma section dans un nouveau cantonnement ; en revenant d’Offemont trouver à ce sujet le médecin-chef, avec Lanchier je me fais arroser de 77 dans le parc ; on les entend siffler et éclater non loin de nous certains à 20 ou 30 m. En arrivant à la grille du parc, nous voyons le trou que vient de faire un de ces obus à la place exacte où se tient d’habitude la sentinelle des alpins. Il a été sauvé par la pluie qui l’a contraint quelques instants avant à se mettre dans un petit abri à quelques mètres de là. 20 mètres après la grille, en terrain absolument découvert, nous entendons un sifflement ; instinctivement nous nous arrêtons en tendant l’oreille et nous voyons l’explosion se produire à 30 mètres. C’est réellement peu impressionnant ; il y a une sacrée différence avec nos 75. Il faut recevoir un 77 en plein corps pour en être incommodé. Camelotte !

Après le déjeuner, nous allons Lanchier et moi à Oolencourt où nous passons quelques instants avec Pouch. Il vient nous accompagner jusqu’à la sortie du village ; avant de nous séparer 3 ou 4 obus de 150 sont passés au dessus de nos têtes pour tomber dans le bois non loin de nous. Nous arrivons à Cosne. Les explosions se font de plus en plus rapprochées ; cependant je commence à m’aguerrir et je passe sans courber la tête. Une marmite nous envoie des éclats fort volumineux à 2 ou 3 mètres ; du coup, nous esquissons un mouvement de recul sur l’école de Cosne ; dans toutes les maisons nous voyons des zouaves ou des tirailleurs réfugiés dans les caves, montrant bien que les « combattants » ne sont pas plus courageux que les « embusqués » du service de santé.

Nous rentrons à Tracy où il est tombé quelques obus dans la journée ; ils continuent d’ailleurs à pleuvoir dans la soirée. Coucher chez les bonnes vieilles.

2 déc.

Les Boches finissent par atteindre avec leurs 190 une de nos batteries et 3 artilleurs sont tués ; encore un coup d’espionnage, selon toutes les vraisemblances.

3 déc.

Ma section va à Bimont ; moi je me tourne les pouces. Ter. Arrêté à tort comme espion.

4 déc.

Je vais à Compiègne à vélo. Je traverse la forêt qui est vraiment splendide, bien que dépouillée des feuilles. Je l’admire à mon retour surtout, avec ses sous-bois aux lointains vagues, ses carrefours aux multiples sentiers, ses chemins couverts de feuilles mortes dont la teinte rouille s’allie à merveille avec le bleu ardoise des troncs. Ca et là un dans le bois, sur les sentiers, gît un de ces géants de la forêt, tombé sous les coups du bûcheron, étendant ses grands bras morts. Même lorsqu’ils sont debout, leur vue inspire une certaine mélancolie ; leurs branches dépouillées ressemblant à des bras décharnés levés vers le ciel, suppliants. Ca et là les bouleaux tendent les clairières de fils d’argent. A partir de Rethondes le spectacle change tout en restant aussi beau. La route passe dans un bas fond. Ca et là on voit de petits étangs couverts de feuilles de nénuphars, entourés et à moitié masqués par les joncs. A ce moment où la nuit tombe lentement sur la vallée, les bosquets qui couvrent les 2 versants sont bleuâtres et les touffes d’arbrisseaux qui forment des sortes de nappes prennent une teinte légèrement violacée. A un tournant du chemin j’aperçois St Crépin superbement encadré par les 2 versants et par la colline qui me sépare d’Offemont. Ah ! quand pourrai-je refaire cette délicieuse promenade après la paix, en auto, avec mes chers parents qui en ce moment sont inquiets sur mon sort, avec mon frère, avec mes soeurs qui tous font des voeux ardents pour le plus prompt retour. Et, si Dieu veut qu’un jour je sois chef de famille, quel bonheur, pour moi de revoir ces contrées avec celle dont Dieu aura fait ma compagne adorée. Il y a quelques mois, avec mon cher ami Jean SERRET nous parlions de promenades en auto à faire ensemble plus tard ; quelle belle occasion pour venir essayer ma 1ère auto.

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