entete

Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte0

nous partons volontaires

texte6
10 octobre.

Grande tuile ! A 2 heures nous recevons Pouch et moi une invitation à nous rendre chez le médecin-chef. Nous songeons déja à notre départ ; hélas ! Ce n’était qu’un changement d’hôpital. Pouch va à l’hôpital militaire, je vais au groupe scolaire où je suis le patron après le bon vieux Dr Borello.

Peu de travail, la surveillance générale de la boite, quelques avis à donner aux infirmières, je continue à voir et à soigner mes bons blessés de la Miséricorde sans négliger mes nouveaux clients. Je continue à faire la manille dans le jardin du père Castres. Ce type du vieux gendarme, dévoué, serviable et parfait honnête homme.

12 oct.

A 2 heures, pendant que je fais la sieste, on entre précipitament dans ma piaule et Cristol m’annonce le départ d’une nouvelle formation ; du coup, notre décision est vite prise ; nous partons volontaires ; nous faisons fièvreusement nos préparatifs de départ ; petite tournée à l’hôpital avec l’ami ! Je regrette les jours heureux que j’ai passés à Perpignan et je suis pourtant ravi de partir ; ma place n’est plus ici  ; tout à l’heure lorsque nous regardions filer les coloniaux, l’un de ceux-ci a prononcé en nous regardant le mot d’embusqué. Ce qui m’a été d’autant plus pénible que je déteste davantage cette catégorie de gens. Le lâche qui osait m’injurier part peut-être par force tandis que je partirai demain de mon plein gré.

En terminant un souvenir ému ( !!! ) au capitaine et au lieutenant que je retiens pour plusieurs raisons.

Reste la tâche la plus pénible : annoncer mon départ à ma famille ; j’avais promis à mes parents de ne pas avancer mon départ ; je n’ai pas tenu parole, mais aussi voir tous mes camarades partir à la fête et rester là à braver l’opinion publique qui, nettement hostile, voit partout des embusqués ! (elle a d’ailleurs joliment raison). A grand’ peine, j’arrive à présenter la chose avec une certaine diplomatie ; après la guerre, je suis sûr que je serai vite pardonné ; je ne pouvais pas faire autrement.

A peine suis-je couché qu’un vilain hibou que je n’avais jusque là jamais entendu se met à crier sous ma fenêtre ; je ne suis pas superstitieux ; cependant j’avoue que ces cris plaintifs et lugubres m’ont glacé le coeur.

13 oct.

Lever à 5 heures ; nous descendons Pouch et moi à la chapelle où nous arrivons en retard. Une bonne religieuse réussit à décider nos amis B. et C. à nous imiter. Confession et Communion. Cette scène dans la chapelle obscure de la Miséricorde restera toujours gravée dans mon esprit.

Il ne nous manque plus rien maintenant. Nous avons rempli notre devoir envers Dieu ; il est facile de faire maintenant son devoir de Français.

Laborieux préparatifs ; adieux aux aimables infirmières des Femmes de France, à nos médecins, aux blessés, aux infirmiers, au bon père Castres et aux admirables religieuses qui m’ont donné de leur dévouement et de leur attachement des preuves que je n’oublierai jamais.

J’ai compris que j’avais acquis leur estime et elles m’avaient témoigné de l’intérêt jusqu’à vouloir demander au général de me faire rester à la Miséricorde (bien entendu je m’y suis opposé). Aussi le moment des adieux a-t-il été pour moi un des plus émouvant de cette journée pourtant pleine d’émotions.

Départ à 4 heures ; traversée de la ville assez terne ;enfin, on ne peut plus nous traiter d’embusqués ; notre manchon de mobilisé témoigne du contraire.

Voyage quelconque jusqu’à Narbonne, intéressant de là à Cette où nous restons 2 heures, assommant de Cette à Lunel (où on nous dit de continuer jusqu’à Lyon), et à Nîmes où le lieutenant Lagarrigue du train des équipages nous fait réserver un wagon. Dès lors, voyage extrêmement intéressant en compagnie du lieutenant Lagarrigue mon compatriote qui représente pour moi le type du bon “militaire”, aimable pour tous, d’humeur très gaie, sachant mener ses hommes par la douceur ; cela nous change un tout petit peu ! ! Le sous-lieutenant Bataille est lui aussi très aimable.

14 oct.

Le jour apparaît lorsque nous arrivons vers Avignon ; nous faisons toute la vallée du Rhône pour arriver à Lyon à 5 heures. Là arrêt de 6 heures ; dîner en ville ; nous rééditons Pouch et moi nos antiques matchs de billard comme au bon vieux temps à Lilli. Rencontré un Hindou. A 11 heures on s’embarque pour Le Bourget...

15 oct.

...dans un compartiment de 2è réservé à Pouch et moi. Bonne roupillade jusqu’à Moulin où nous arrivons au grand jour. Furieux d’ailleurs d’avoir laissé passer Paray etc. .. pendant mon sommeil.

3è journée de voyage très intéressante. A Nevers, je dégotte un jeu de cartes anglais. Charmant accueil à Cosne où avec du bouillon, du thé chaud je calme une angine très douloureuse qui me tient depuis 3 ou 4 jours.

Arrêt et sortie à Nemours ; dîner à Moret offert par la croix-rouge ; nous bénéficions déjà de la considération attachée à notre velours rouge. Ca sent un tout petit peu la guerre : les habitants de Moret ont en effet entendu le canon pendant la bataille de la Marne.

Arrivée au Bourget à minuit.

page suivante