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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte0

départ pour le front ; je me sens déjà pris d’une sainte ardeur

texte7
16 oct.

Roupillade jusqu’au matin ; à 8 heures départ pour le front ; je me sens déjà pris d’une sainte ardeur : dans quelques heures nous serons sur le théâtre des opérations.

Vers 10 heures nous commençons à voir des uniformes en grand nombre ; le réservoir d’eau d’une petite gare est en ruines ; sur le trajet, on ne voit que boîtes de conserves militaires avec surtout des étiquettes anglaises. Ca commence à sentir un peu la guerre lorsque nous apercevons un parc de cavalerie occupé par des chasseurs ; dans les prés environnants, on voit les chevaux sous la surveillance de cavaliers en armes. A l’entrée d’une forêt, nous apercevons un convoi de ravitaillement. Nous arrivons à Crépy-en-Valois jolie petite ville qui a subi l’occupation pendant 11 jours, et qui en porte encore les traces. Nous entendons l’explosion d’obus allemands que par prudence le génie français fait éclater. Je me sens maintenant parcouru par un frisson guerrier. En route, nous rencontrons quelques soldats anglais.

Enfin nous arrivons à Pierrefonds, terminus de notre voyage ; magnifique paysage ; splendide château que nous visitons imparfaitement d’ailleurs. Nous sommes logés à l’”hôtel des étrangers” et de fait à voir l’accueil réfrigérant que nous ménage la population je crois que nous sommes plutôt pris pour des “étrangers” que pour des défenseurs. Fort heureusement, on ne peut pas juger les Français d’après les gens de Pierrefonds. Je dois d’ailleurs faire une exception pour une brave personne qui nous a fait à messieurs Lagarrigue et Bataille, à mes camarades et à moi, une délicieuse popote dans sa maison qui a été habitée et dévalisée par les Boches un mois plus tôt. Le vendredi se passe sans que nous recevions aucun ordre.

17 oct.

messeVisite du château. A midi pendant le déjeuner on apporte au lieutenant Lagarrigue des ordres à notre sujet : nous devons partir le lendemain pour Offemont siège du groupe de brancardiers de la 37è division. Je fais inscrire Cristol, Belugou et Carayon dans la liste des infirmiers qui doivent nous accompagner. Le soir je rencontre un médecin de Villefranche, le docteur Magne, moitié agenais ; avec qui nous parlons de l’Aveyron et du Lot et Garonne. Le soir au dîner, Cristol et Carayon viennent nous demander de nous quitter pour aller à l’ambulance 3 où un de leurs amis aide-major pourra leur procurer de gros avantages en particulier celui d’être infirmier et non brancardier. J’en suis heureux pour mes bons camarades C. B. et C. mais je suis navré de me séparer d’eux.

18 oct.

Séparation : adieu à Cristol, Belugon, Carayon, au lieutenant Lagarrigue qui ne fera pas partie de notre formation à notre grand regret. Départ du détachement à 6 heures. Ca sent décidément la guerre ; depuis 2 jours nous entendons le canon dans le lointain. A un tournant du chemin nous entendons très distinctement une salve de 95, ce qui je l’avoue, me chiffonne un tout petit peu. Arrivée au château d’Offemont. Petit incident : présentation au Médecin divisionnaire ; notre installation au groupe de brancardiers où nous sommes définitivement affectés ; j’ai le plaisir de retrouver l’abbé Mas et de faire la connaissance de nombreux infirmiers-prêtres et tringlos aveyronnais. On nous fait le récit des incidents de C. Amis aveyronnais : Poulquier, Regimbeau, Domergue, Ginestet, Mas. Nous faisons la connaissance des étudiants en médecine de la formation tous très aimables : Fritsch, Lanchier, Berceau. Avec Fritsch et le sergent Lombard nous allons voir tirer les pièces de 95 ; nous sommes très bien reçus par un adjudant puis par un capitaine d’artillerie.

19 oct.

Présentation au médecin-chef, très chic pour nous ; il nous donne un cuisinier un tampon pour chacun de nous ; nous nous installons chez de braves indigènes dont presque tous les gosses sont sourds-muets. On nous donne à chacun une section ; j’ai la première avec Lombard et Fritsch. Belles fanfaronnades de X. et X. qui tiennent à se faire passer pour plus courageux qu’ils ne sont. Que ne sont-ils allés au feu comme combattants ? On les aurait accepté à bras ouverts. Nous les verrons à l’ouvrage. Pour nous, nous ferons tout notre devoir mais nous n’irons pas par bravade nous exposer bêtement même si, comme c’est le cas (et c’est pour cela qu’ils sont si courageux) le danger est minime. Le soir exercice de brancardier ; on procède à l’installation fort ingénieuse de 3 brancards sur une charette ordinaire.

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