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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte13 12 novembre, attaques françaises sur le cimetière de Tracy-le-Val

Plutôt crever qu’être évacué pour cause de maladie !

texte13
11 nov.

Vers les 10 heures, on entend une fusillade assez vive.

12 nov.

Je me réveille vers les 3 h. Le canon mêle sa grosse voix au crépitement de la fusillade ; on distingue très nettement le bruit des mitrailleuses ; à 5 heures j’entends du bruit devant le cantonnement on tape à notre porte : “M.M. les Médecins Auxiliaires allez voir le rapport”. Les sections 5 et 6 doivent partir avec armes et bagages à 6 h.30 ; la section 3 se tient prête à en faire autant au 1er ordre. Nous nous mettons fiévreusement à préparer nos cantines en chantant la marseillaise, le chant du Départ ; nous partons enfin en avant ; j’oublie complètement mon mal de dents. Pendant ce temps, canons, fusils, mitrailleuses continuent la sérénade ; je reste un bon moment à la fenêtre pour écouter cet ensemble de sons vraiment harmonieux lorsqu’on est à une certaine distance ; c’est un véritable orchestre où le fusil remplace  le cornet à pistons, les mitrailleuses faisant les contre-temps de l’alto, pendant que le 75 fait les chants de basse ; il n’y manque même pas la basse dont les grosses marmites de 220 tiennent lieu. Piquemal et Raynal partent avec leurs hommes. La matinée se passe sans autre incident ; on embarque tous les bagages, en attendant de nouveaux ordres qui n’arrivent pas. La canonnade diminue puis s’arrête. Je suis repris par mon mal aux dents ; je vais à l’ambulance me faire ouvrir un abcès dentaire par M. Py. Cependant, les ordres si impatiemment attendus n’arrivent pas. Finalement vers 1 heure Boboeuf sur les ordres du médecin-chef me rapporte ma cantine ; notre attaque n’a pas donné tout ce qu’on en attendait ; il faut se résigner à reprendre la vie monotone que nous menons depuis bientôt 1 mois ; envolés les beaux projets de ce matin ; nous nous voyions déjà à Hirson ou Givet et nous voilà encore dans ce trou ignoble d’Offémont. Je garde cependant bon espoir de partir bientôt ; mon optimisme est resté intact ; nous ne réveillonnerons pas ici, j’en ai la conviction.

13 nov.

Tout étant rentré dans le calme, je vais à Compiègne toujours pour mes dents. Je me fais saucer en route, puis à Compiègne ; malgré tout, bonne soirée ; correspondance au café X. où j’ai trouvé le bon truc pour expédier mes lettres.

14 nov.

Souffrant encore des dents, je vais m’en faire extraire 2 par M. Py. L’opération n’est pas très douloureuse mais aussitôt après, j’éprouve des souffrances intolérables que rien ne peut calmer ; je vais me coucher ; mon excellent ami Pouch me donne une nouvelle preuve de son dévouement en me prodiguant ses soins. Ça ne va pas du tout ! Des souffrances atroces, des frissons fréquents “solennels” un poul à 110 ; je suis sous une véritable pile de couvertures et malgré cela je grelotte. M. Regimbeau me prête une superbe couverture ; M. Mas et Pouch me couvrent de paille ; M. Fafeur me donne un petit chauffe-mains. Bref, tout le monde s’intéresse un peu à moi et j’ai été extrèmement sensible à toutes ces marques de sympathie. J’en avais réellement besoin ; j’étais totalement démoralisé, craignant d’avoir une pneumonie, ou une congestion qui auraient peut-être suffi à me faire évacuer ! Plutôt crever qu’être évacué pour cause de maladie ! Enfin pour cette fois, j’en serai quitte pour la peur. Une heure après environ, j’ai réussi à me réchauffer et la douleur a cessé presque complètement.

15 nov. dimanche.

Ça va mieux et une journée de repos va me remettre entièrement. “Rien à signaler”.

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