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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte22 25 décembre, autre attaque française au nord-est du bois Saint-Mard

Quelle affreuse journée de Noël !

texte22
24 déc. (1914)

Journée passée au coin du feu en compagnie du Dr Ledoux. Le soir, je rencontre le Dr ## qui me laisse entrevoir que ça pourrait encore chauffer demain. Nous rentrons à Offemont à la nuit après avoir craint quelques instants de n’être pas relevés. La nuit est froide, mais très claire ; le ciel est très étoilé ; quelle belle nuit de Noël en perspective ! Nous allons, je l’espère, la célébrer dignement. On se recueille pour la Messe de Minuit qui est célébrée dans une carrière située au dessus de l’ambulance. Le cadre est merveilleusement bien choisi. La carrière est basse, presque à hauteur d’homme ; sur les parois d’innombrables bougies éblouissent les yeux de leurs lumières tremblottantes. Trois autels sont dressés dans une galerie étroite et profonde ; ils sont entourés de drapeaux aux couleurs des alliés. L’assistance est nombreuse, formée d’officiers et de soldats, venus quelques uns en dilettante, beaucoup par conviction. On chante des cantiques de Noël et c’est impressionnant d’entendre toutes ces voix dont les accents n’avaient jamais été plus sincères se fondre presque harmonieusement, malgré leurs médiocrités, sous les voutes de la carrière et se perdre lentement dans les couloirs ténébreux.

25 déc.

Beaucoup d’officiers et de soldats se présentent à la Sainte Table ; je me joins à eux. Je demande à Dieu de tout mon coeur que nous célébrions la prochaine fête de Noël dans nos foyers après une paix glorieuse, que la guerre ne soit pas trop meutrière pour nous et pour les Boches, nos semblables malgré tout. Que mon cher Urbain soit préservé de tout danger ! Que nous puissions tous nous réunir dans quelques mois au Cayrol et faire oublier à Papa et Maman tous leurs soucis en les aimant encore davantage ! Pour eux , je demande au ciel de me conserver la vie. Je songe aussi à tous mes amis dont certains ont déjà payé de leur sang leur dette à la patrie, comme mon cher Labat qui a voulu jusqu’au bout nous donner le bon exemple. Je fais des voeux pour que mon ami et frère d’armes Pouch revienne lui aussi sain et sauf ; que nous puissions plus tard revenir ensemble dans ces pays où nous aurons fait campagne. Je pense à mon cher JEAN qui subit la dure vie de garnison et qui se rend 100 fois plus utile que moi, en prodiguant ses soins à nos braves blessés.

Après les 3 Messes classiques, nous rentrons au cantonnement où nous attend le réveillon. On fait honneur à la soupe au fromage, à la choucroute, etc. ... un peu trop à la Bénédictine, au Graves et aux cigares. Les convives sont Lanchier, Fritsch, Bersot, Guillonneau et Pouch. Bersot nous égaie de ses chansons ; Fritsch essaie de nous arracher des larmes ou de nous faire trembler, je ne sais au juste, avec ses chansons rouges. Lanchier et Bersot nous sortent une “Carmen” aux petits oignons ; remarqué la sortie de Michaela pour un motif qui n’a rien d’artistiques, et à un moment des plus pathétique : Fritsch complètement moche va se coucher ; mal lui en prend car par dessus lui se livre la plus terrible bataille de toute la campagne. De guerre lasse, on s’endort comme des troncs d’arbre en remettant au lendemain le plaisir de sabler le mousseux. Hélas, 100 000 fois hélas ! quel piteux réveil ! Testas, le sinistre Testas vient frapper furieusement à notre porte : “attaque générale ; on file dans 1/2 heure”. Malgré une affreuse xylostomie il faut préparer sa cantine et se mettre en marche sur Tracy, Pouch et moi avec nos sections.

La cannonade fait rage ; nos tympans menacent ruine ; d’assez bonnes nouvelles nous arrivent ; le 42 s’est fort bien conduit. Nous passons la journée à Tracy. Un lieutenant de zouaves blessé le matin à l’attaque d’un champignon nous parle des boches qui sont devant nous ; ils font partie de la garde et se battent, parait-il, comme des lions ; nos troupes n’en ont que plus de mérite. Le soir, nous recevons l’ordre d’aller coucher à Bimont . Je trouve chez les tirailleurs un nouvel aide-major qui malheureusement pour moi, ne m’invite pas à coucher dans sa chambre ; j’en suis réduit à m’étendre sur la paille humide de l’écurie à côté de mes brancardiers ; on y gèle littéralement. Quelle affreuse journée de Noël ! Puissé-je n’en jamais passer d’aussi mauvaise !

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