Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC, "poilu" de la Grande Guerre |
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Y penser toujours, n'en parler jamais |
Situation inchangée ; exercices de brancardiers aussi inutiles qu’ennuyeux.
De service à Oolencourt ; promenade dans le bois ; nous sommes installés en face la maison du garde dans une vaste cabane en planches qui ressemble plutôt à une cage à poulets. Le soir visite d’Angélé ; je fais la connaissance de Lenoir élève de l’E.S.S.M., médecin aux(iliaire) aux Alpins ; balade au poste des tirailleurs avec Angélé ; étant très courbaturé je me fais administrer une friction ; mais j’oublie mon mouchoir, ce qui me vaut la peine de retourner le soir, vers les 7 heures et d’entendre les balles siffler au dessus de nos têtes, étant en compagnie du capitaine Beyraud. Bonne manille dans la cabane, suivie d’une longue roupillade.
Nous voyons passer (un) prisonnier il porte tout au plus 16 ans ; c’est un vrai gosse ; il s’est d’ailleurs battu comme un vrai lion lorsqu’on a voulu l’arrêter. Il parle très bien le français ; on se sent désarmé en face de pareils adversaires ; je me prends à éprouver de la sympathie pour ce pauvre gosse dont la figure est empreinte d’une certaine impression de douceur. Le soir nous le revoyons à Offémont entre 2 gendarmes.
De service à Bimont ; journée affreusement ennuyeuse par un temps froid et humide ; je vais embarquer à Offémont 2 blessés dont l’un très gravement à la tête, un jeune sergent de tirailleurs qui quelques jours avant nous parlait de la vie dans les tranchées. La nuit, mal de dents épouvantable. Comme chez les tirailleurs avec le Dr Sorel.
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Je vais à Compiègne me faire soigner les dents ; je pars à bicyclette ; à Francport, j’ai l’agréable surprise de rencontrer sur la route Belugou qui m’apprend son affectation et celle de Carayon et Cristol à l’ambulance 3. Je vais les voir tous l’un à l’ambulance et l’autre à l’annexe installé dans une somptueuse habitation ; dans un couloir obscur, je suis salué par un aviateur militaire qui se présente à moi, engage la conversation, puis me présente ses beaux-parents et sa femme. Je m’entends saluer “M. le Min Chef” ! ! Ça y est, je me trouve devant les propriétaires de la maison qui m’ont pris pour le patron de l’ambulance ; il est trop tard pour les détromper et j’en suis réduit à tenir mon rôle jusqu’au bout ; j’y réussis d’ailleurs assez bien malgré une irruption de Cristol un peu trop exubérant dans ses effusions cette fois. J’arrive enfin à me tirer des pattes et nous nous payons une bonne bosse de rire. Bélugon et Cristol m’accompagnent jusqu’à Choisy-au-Bac. Excellente soirée à Compiègne.