Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC, "poilu" de la Grande Guerre |
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Y penser toujours, n'en parler jamais |
Le soir à 6 heures, nous partons faire la relève à Bimont. Il fait nuit noire et par dessus le marché, il neige à gros flocons. Après Tracy, Pouch se dirige sur Ollencourt ; Boboeuf et moi nous partons sur Bimont. Après la ferme des 155, ffft ! ! Qu’est-ce donc ? ttf, fft, « on dirait que les balles sifflent » me dit Boboeuf. « je ne crois pas qu’elles puissent arriver ici ». Au même instant un éclair jaillit du chemin à 4 ou 5 mètres à peine devant nous après un petit claquement sec produit par le choc d’une balle sur un silex. Plus de doute, nous sommes dans la zone de tir ; nous nous abritons derrière un arbre ; les balles sifflent sans discontinuer pendant que la fusillade redouble d’intensité ; le chemin est absolument balayé ; les branches tombent autour de nous, coupées par les balles ; ça sent presque trop la guerre ! Et pendant ce temps, j’en suis sûr, Pouch dont la compagnie me vaut cet incident désagréable, se chauffe tranquillement à Ollencourt. Lorsque ça ralentit, nous reprenons le chemin de Bimont où nous arrivons tout couvert de boue. Le docteur Ledoux me fait un accueil tout à fait cordial et m’invite à partager son lit ; jamais offre ne fut acceptée avec pareil empressement. Je passe au coin du feu une délicieuse soirée, qui me fait oublier toutes les émotions et je roupille comme un bienheureux.
... ? ...
Le
soir je vais voir Pouch à Ollencourt. Quelques
émotions en prenant la direction
du château de Tracy-le-Val qui
est aussi celle des Boches. Avec Pouch nous
allons voir Angele qui nous emmène voir
les tranchées de 2è ligne, fort confortables,
constituant un abri excellent
contre la pluie, le froid et les
balles ; au-devant sont installés
d’innombrables
fils de fer barbelés formant un véritable
labyrinthe. Nous allons par le boyau jusqu’à 200
mètres environ de Bailly ; inutile
d’aller plus
loin ; ce serait peut-être même
dangereux ; nous voyons un petit boqueteau où les
avant-postes français et boches passent tour à
tour et qui est l’objectif d’une de nos prochaines
attaques. Nous nous arrêtons quelques instants dans le
boyau :
n’est-ce pas horrible de songer que si notre tête
dépasse le talus, elle est fort en danger ? et nous
sommes chez
nous ; nous sommes menacés sur notre propre
sol ! Ah ! qu’il est dur, dans de
semblables circonstances d’être
protégé par la Croix de Genève,
c’est à dire de n’avoir pas
le droit de faire le coup de feu contre l’envahisseur. Nous
rentrons tous au
poste ; j’ai la désagréable
surprise d’y voir arriver le
médecin-chef ; je m’enferme
prudemment jusqu’à son départ et je me
défile en vitesse par le bois qui est
magnifique ; je traverse en particulier un petit bois de pins
dont l’aspect coquet et sobre à la fois tranche
avec la majesté de la grande forêt. Je rentre le
soir à Bimont après une halte à
Tracy-le-Mont.
(... Fin du 1er carnet ...)