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Clément CAMBOURNAC

Journal et lettres de Clément CAMBOURNAC"poilu" de la Grande Guerre

Y penser toujours, n'en parler jamais
contexte0

ça sent presque trop la guerre !

texte21
23 décembre.

Le soir à 6 heures, nous partons faire la relève à Bimont. Il fait nuit noire et par dessus le marché, il neige à gros flocons. Après Tracy, Pouch se dirige sur Ollencourt ; Boboeuf et moi nous partons sur Bimont. Après la ferme des 155, ffft ! ! Qu’est-ce donc ? ttf, fft, « on dirait que les balles sifflent » me dit Boboeuf. « je ne crois pas qu’elles puissent arriver ici ». Au même instant un éclair jaillit du chemin à 4 ou 5 mètres à peine devant nous après un petit claquement sec produit par le choc d’une balle sur un silex. Plus de doute, nous sommes dans la zone de tir ; nous nous abritons derrière un arbre ; les balles sifflent sans discontinuer pendant que la fusillade redouble d’intensité ; le chemin est absolument balayé ; les branches tombent autour de nous, coupées par les balles ; ça sent presque trop la guerre ! Et pendant ce temps, j’en suis sûr, Pouch dont la compagnie me vaut cet incident désagréable, se chauffe tranquillement à Ollencourt. Lorsque ça ralentit, nous reprenons le chemin de Bimont où nous arrivons tout couvert de boue. Le docteur Ledoux me fait un accueil tout à fait cordial et m’invite à partager son lit ; jamais offre ne fut acceptée avec pareil empressement. Je passe au coin du feu une délicieuse soirée, qui me fait oublier toutes les émotions et je roupille comme un bienheureux.

... ? ...

Le soir je vais voir Pouch à Ollencourt. Quelques émotions en prenant la direction du château de Tracy-le-Val qui est aussi celle des Boches. Avec Pouch nous allons voir Angele qui nous emmène voir les tranchées de 2è ligne, fort confortables, constituant un abri excellent contre la pluie, le froid et les balles ; au-devant sont installés d’innombrables fils de fer barbelés formant un véritable labyrinthe. Nous allons par le boyau jusqu’à 200 mètres environ de Bailly ; inutile d’aller plus loin ; ce serait peut-être même dangereux ; nous voyons un petit boqueteau où les avant-postes français et boches passent tour à tour et qui est l’objectif d’une de nos prochaines attaques. Nous nous arrêtons quelques instants dans le boyau : n’est-ce pas horrible de songer que si notre tête dépasse le talus, elle est fort en danger ? et nous sommes chez nous ; nous sommes menacés sur notre propre sol ! Ah ! qu’il est dur, dans de semblables circonstances d’être protégé par la Croix de Genève, c’est à dire de n’avoir pas le droit de faire le coup de feu contre l’envahisseur. Nous rentrons tous au poste ; j’ai la désagréable surprise d’y voir arriver le médecin-chef ; je m’enferme prudemment jusqu’à son départ et je me défile en vitesse par le bois qui est magnifique ; je traverse en particulier un petit bois de pins dont l’aspect coquet et sobre à la fois tranche avec la majesté de la grande forêt. Je rentre le soir à Bimont après une halte à Tracy-le-Mont.
 

(... Fin du 1er carnet ...)


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